dimanche 21 août 2011

Deux ou trois choses en tête

Maison de Balzac à Passy
de page en page je plongeais dans les univers de Balzac je mis du temps à m'immerger dans Les Chouans je désespérais d'avancer bloquée dans cette lande bretonne qui de toutes parts m'encerclait comme elle encerclait les personnages
on en sort lentement et un récit émerge enfin

à l'identique Lucien héros des Illusions Perdues sort lentement de son crépuscule provincial pour être propulsé dans la lumière changeante incertaine capricieuse trouble de la capitale miroir de charme à travers lequel il affronte enfin la complexité du monde

de Balzac (si peu en odeur de sainteté en regard de Proust Flaubert ou Stendhal) qu'avais-je lu sinon quelques uns de ses ouvrages sans oublier l'incontournable Eugénie Grandet
quels souvenirs avais-je de ces lectures anciennes sinon qu'elles devaient se faire dans un cursus et que le reste (plus d'une centaine de titres ) ne serait par bribes qu'occasionnellement abordé feuilleté
j'en étais là de mes réflexions sur ce pilier incontournable de la littérature française (auteur prolixe qui malgré ma réticence à trop m'y attarder suscitait ma stupéfaction sinon mon admiration pour la colossale somme de travail effectuée) quand je tombais sur l'annonce d'une exposition à Passy dans La maison de Balzac au titre pour le moins troublant Moi Eugénie Grandet par Louise Bourgeois

Louise Bourgeois à la maison de Balzac
Louise Bourgeois c'était pour moi avant tout les araignées monumentales les installations coups de poing le travail de multiples matériaux (minéraux, fer, bois, textiles...) l'expressivité des mains quelques gouaches et aquarelles sur l'Extrême Tension du corps la justesse de ses propos lorsqu'elle précisait " ce qui est important c'est votre propre lecture que vous avez de l'oeuvre pas la mienne" les longues heures passées dans les lieux qui l'avaient célébrée peu de temps avant sa mort

Extrême tension
quel lien pouvait-il y avoir entre Louise et Eugénie quel lien unissait (secrètement) l'artiste indépendante adulée reconnue (certes tardivement) attendrissante et despotique de Louise Bourgeois : l'araignée, la maîtresse et la mandarine à l'obscure jeune femme privée de sa vie par un père despotique


tel était le lien la tyrannie du père toujours à fuir d'où son départ aux USA après la mort de sa mère la protectrice la passeuse de vie qui sans relâche retissant la toile endommagée délimitait un périmètre de survie
Eugénie Grandet dans ma mémoire ressurgissait pas à pas souvenir périssable de lectures lointaines qui me laissait comme un goût d'inachevé d'incertitude... une vie sans commencement ni fin... un sacrifice vain... un spasme d'étouffement et partir loin très loin après avoir furtivement refermé le livre
la fuir (car les personnages des livres nous hantent à notre inconscient défendant) l'oublier car son histoire me faisait mal à seize ans  à peine  en d'autres temps
Louise Bourgeois hôtesse hantée par Eugénie Grandet l'accueille et la berce jusqu'à faire sienne sa propre vie son temps son espace temps immobile lieu fermé
reminiscences des gestes cent fois mille fois infinités de fois répétés dans le vide
automatismes des tâches cachées derrière les rideaux tirés les volets clos de celles qui reviennent chaque jour comme un ouvrage de dame qu'Eugénie sortirait pour broder tisser coudre lisser chaque jour un peu plus sa rancoeur d'exister pour rien


sagement comme un grand défi une grande ironie de fin de vie où l'on ne peut assumer de grands travaux Louise Bourgeois dans la minutie est devenue brodeuse couturière assembleuse sculptrice de chiffons aquarelliste encre chineuse crayonneuse le fusain haut comme un scalpel prêt à mordre incisif et dérisoire pour honorer la vie perdue d'Eugénie Grandet ou peut-être pour la venger
tout un petit travail de précision dans lequel se décèle une proximité comme une passerelle jetée entre elles


Photos de mhaleph

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