mardi 1 novembre 2011

L'impossible recul

   la vie                                 la maladie

de jour en jour je pousse la porte large jamais vraiment fermée de cette chambre où elle git échouée elle ne sait pas qu'elle y mourra le sais-je moi-même qui chaque jour pousse cette porte large que sais-je dans mon obscurité la vie n'est plus que ce couloir long et cette porte large que je pousse chaque jour pour la retrouver dans ses états de conscience intermédiaires
d'heure en heure pourtant d'infimes changements s'égaillent autour d'elle sortent d'elle envahissent la chambre débordante du flot inachevé inassouvi ininterrompu de ses souvenirs si lointains que ceux-là c'est sûr on a l'impression de ne les avoir jamais entendus que ceux-ci en effet sont inédits tout frais sortis de ce cerveau vivace encore qui semble répertorier ses fonds de bobines pour les enrouler in extremis sur le vieux projecteur et pour dérouler sans exception toutes les images connues et inconnues
remontent alors des scènes intimes des épisodes étranges des histoires enfouies toute une mémoire de dernière minute qui défile joyeusement dans l'inconscience du mal qui guette dans la légèreté enfantine de l'insouciance dans un regain d'énergie trompeur qui laisserait à penser qu'une sortie prochaine sans doute... si ce n'était la réalité d'un corps qui lâche de toutes parts tous ces contes anciens arrivent à fleur de lèvres et se déversent pêle-mêle demandant toujours plus d'attention comme si impalpablement l'échéance était sentie intégrée voire acceptée
je pousse la porte large de cette chambre paisible où s'écoule plus lentement le temps qui n'entre plus comme si chaque jour recommençaient les mêmes gestes réapparaissaient les mêmes mots s'entendaient les mêmes Bonjour et les mêmes Adieu à la place des Au Revoir
lentement doucement de jour en jour la porte large se fait plus lourde et plus lente à pousser large et épaisse elle facilite les passages les entrées et les sorties fatidiques elle assourdit les bruits les paroles les cris la douleur elle pèse alors de tout son poids et résiste à la poussée sous la main des visiteurs qu'elle semble peu à peu maintenir à distance
gardienne du sanctuaire elle s'imprime chaque jour plus pesamment contre la paume de la main elle revêt son rôle de passeuse vers ce crépuscule qui subrepticement grignote l'espace de la narration introduit les blancs les flous les embardés les confusions les petits délires internes mêlés aux réalités anciennes le crépuscule prend place dans les brèves somnolences dont on sort comme d'un cauchemar en sursaut la crainte aux yeux sans jamais (vouloir) savoir d'où l'on vient ce qu'on a vu senti pressenti la vie dans l'espace plus étroit de la chambre reprend son cours pour une heure ou deux peut-être moins pour s'interrompre dans l'épuisement et replonger aux sources du crépuscule qui s'est invité comme un hôte permanent l'air s'épaissit les sourires se font plus rares la conscience ténue encore d'une navigation à vue (progressivement incontrôlable) vers un espace dont on ne connaît pas les contours s'enracine la nervosité qui quelques jours plus tôt s'engouffrait dans de joyeux récits fait son lit et piétine dans la chambre ne trouvant plus d'exutoire
terrassé par l'épuisement le corps se plie se cabre se replie les lèvres désarticulent des propos fugaces à peine audibles et dans une demi-conscience articule la mort qui vient réalisant ainsi que dans cette chambre fermée ce lit sera la dernière couche où l'on dormira
la porte plus lourde qu'à l'accoutumée tôt dans le matin renaissant semble dans un ralenti fendre l'air figé de la chambre d'où les sons ne sortent plus le silence qui m'accueille me fige et m'accable elle n'est plus


                                                            le crépuscule                             la mort

Dessins de mhaleph, début Avril à début Novembre 2008


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