mardi 6 novembre 2007

Néolithique

Un jour de juillet, je me suis retrouvée presque par hasard sur un chantier de fouilles près de Thonon-les-Bains en Haute Savoie. Je séjournais dans la région et j’avais appris par le bouche à oreille que le site serait visible un soir par semaine en fin d’après-midi pour satisfaire la curiosité des néophytes, lesquels, pour certains d’entre eux, s’autorisaient à envahir les lieux avec sans gêne à n’importe quel moment de la journée, gênant ainsi le travail des archéologues.Pour l’essentiel, le site était une vaste nécropole datée de – 4000 à – 3000 avant J-C. Ni le terrain défoncé, ni les tombes ouvertes, ni celles à ouvrir et à fouiller n'étaient très impressionnants – encore des vestiges, se dit-on –, mais ce qui l’était en revanche, c’était de ressentir une proximité si lointaine avec ces hommes et ces femmes qui ressurgissaient alors qu’on avait oublié leur existence. Soudain, ils étaient là. Malgré le peu de sciences que l’on possède en ce domaine, on veut les voir, établir le contact, connaître leur histoire, savoir ce qu’ils ont à nous dire depuis le fond de leur âge. L’impatience nous guette, nous recherchons l’anecdote et nous en sommes finalement réduits à des hypothèses construites à partir de pas grand-chose. Ce texte ne sera pas savant et je ne rapporterai pas fidèlement tous les propos d’intérêt du spécialiste, car pour plus ample information il suffit de consulter dans « Le Monde » les archives du 27 juillet 04 qui titre : « Caveaux de famille au néolithique ». Je tente simplement d’écrire ce que j’ai vu et pensé au moment où je me trouvais sur les lieux, les pieds dans la poussière ocre sous le soleil encore cuisant malgré l’heure tardive.Un terrain de fouille bouleversé n’a rien de très attractif vu de loin. Mais, ensuite, c’est le détail, tous les détails qui font sa différence avec le champ voisin labouré dans lequel personne n’a jamais rien trouvé. Ici, un arc de pierres polies autour d’une tombe comme pour la protéger. De quoi ? On ne sait. Là, la sépulture de la femme aux neuf cents perles qui reposait dans son coffre de pierre – du schiste feuilleté – avec son nouveau né, près du carré des enfants. Plus loin le caveau d’un couple dont d’aucuns ont imaginé l’histoire en fonction de leurs fantasmes. Rituel : sacrifice de la femme suivant l’homme dans la mort. Tragique : des Roméo et Juliette du néolithique. Prosaïque : un empoisonnement aux champignons. On ne sait. Plus loin encore, une fosse à ciel ouvert, éventrée au pic et au levier par des pilleurs de tombes, dans laquelle rien ne fut trouvé, pas même un squelette. Là-bas, les emplacements des caveaux aux coffres de bois aujourd’hui disparus, mais dont on détermine l’emplacement grâce aux galets qui les calaient. Dans un chemin annexe, alignées par les soins des fouilleurs, les dalles de fermeture. Des corps enfin, ou ce qu’il en reste, repliés sur eux-mêmes, seuls ou accompagnés par deux, par trois, par quatre, par cinq, par six… Des ossements soigneusement rangés, parfois effondrés sous l’effet de l’entassement ou du prélèvement de quelque os mystérieusement disparu. Pour quel usage ? On ne sait. On suppose, seulement.J’ai regardé la campagne environnante, aujourd’hui un plateau érodé par les cultures, entouré de champs, de prairies et de petits bois, qui devait être – il y a si longtemps – un ensemble doucement vallonné. J’ai fait abstraction de ce qui m’entourait et j’ai commencé à déambuler mentalement. J’ai pensé aux objets trouvés dans les tombes. Peu de choses à vrai dire. Des perles, principalement de lignite, des fragments de poteries et un coquillage méditerranéen inclus dans une parure. Ce coquillage insolite et incongru aux pieds des montagnes permettait toutes les dérives. Je me demandais comment il avait pu arriver jusque là, aussi loin de la côte méditerranéenne, à une époque où l’on ne devait pas se déplacer au-delà d’un périmètre de plus de cinquante kilomètres au cours d’une vie. Mais de colportage en colportage, peut-être avait-il mis deux ou trois siècles avant d’échouer dans cette région comme le fit remarquer le spécialiste. J’avais ma réponse. Enfin, ce n’était encore qu’une hypothèse.Eux sont passés. A présent c’est nous qui passons, jour après jour. Je ne sais quel est le lien entre eux et nous sinon la place éphémère de chacun. Une poussière microscopique, à l’échelle de l’univers. A l’échelle de ce que nous pensons être aujourd’hui l’univers. Enigmatique.

Août 2004

Photos de mhaleph

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