lundi 5 novembre 2007

Séisme

L’écriture, c’est le moment où la terre se fend sous les pieds et où l’on perd l’équilibre. Perte d’un centre pour en retrouver un autre, inconnu, dont on ne connaît pas les règles, s’il y en a. On ouvre des portes ouvertes constamment verrouillées de l’intérieur. On investit des territoires inhabités peuplés de foules. On s’épanouit dans le paradoxe, on s’acoquine avec l’oxymore. On s’écrit alors, à ce point d’intersection entre la vie et la mort, cette figure du désir qui toujours commande de vivre, cette fissure entre les mots et le silence, lieu où le verbe existe vraiment, ou tente d’être. C’est l’inverse de la parole centrifuge qui s’écroule sur elle-même à force d’être trop bavarde et de n’écouter que son propre discours « in-signifiant » car rien n’est vrai ou presque dans ce qu’elle dit, sinon qu’elle voudrait combler l’oubli, la perte, l’incertitude, le vide. Ce creux, cette faille, c’est un point névralgique, l’endroit et le moment où la pensée naît et prend forme, où elle se met en mots en les cherchant avec justesse et non en les débitant comme autant de balles perdues.
A vrai dire, c’est surtout l’envie de travailler les mots, de déplacer les propos, de faire glisser les champs de perception : de voir avec les oreilles, d’entendre avec les yeux, de goûter avec les doigts, de toucher avec le nez, de sentir avec la langue qui pousserait parfois à écrire. Ce ne serait jamais que le désir de déplacer des territoires. Les perceptions brouillées par les glissements de sens ouvriraient en partie d’autres mondes.
Ce qui importerait, serait la résonance que les événements petits ou grands, personnels ou collectifs et universels pourraient avoir sur l’écriture. Cet écho traverserait donc les textes et les images. Regard relatif. Ressenti relatif. Transparence relative. Complexités obligent.Un texte qui s’écrit reste personnel malgré ses artifices, malgré les contraintes littéraires qu'un auteur singulier peut s’imposer. Car, même s'il recherchait « l’objectivité » absolue, il n’est pas certain de l'atteindre. Aussi honnête soit-on dans cette intention, il est peu probable d’y arriver « en toute objectivité ». De fait, « notre » réalité objective sera sans cesse traversée par ce qui nous singularise, par notre histoire parasitaire. On modalise malgré soi, même si l’on veut s’absenter derrière les mots. Disparaître de la langue ou dans la langue, devenir invisible semble vain.Se cacher dans la langue reste un exercice difficile et sans doute quasi illusoire même si le gommage de soi est souvent tenté. Il arrive un moment, où « je » réapparaît. Les mots tracés sont prisonniers dans la plus grande liberté. L’absence de soi dans l’acte d’écrire c’est la folie des limites qui nous excluent de nous-mêmes. Il semblerait qu’on s’écrive, en pointillés, même dans la neutralité.De la même manière, lire ou relire un auteur c’est le lire en fonction d’une réceptivité propre. Ce n’est en aucun cas une lecture unique, mais plutôt une lecture par strates. Ce sont finalement des lectures stratifiées par réitération, des lectures qui prennent de l’épaisseur, du volume, de la densité, du corps. La réception de l’écrit reste évolutive et multiple. C’est son intérêt. Elle est toujours ouverte.


Mai 2003

Photo de mhaleph

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